Pascal Tassy, un paléontologue qui cherche... en musique !
On pourrait réduire la définition du terme « paléontologie » à ceci : une science dont le but est l’étude et la recherche de fossiles…
Sans vouloir paraître pessimiste pour l'avenir des musiques que je défends, et avec une certaine dose d’humour, il n’y a qu’un pas à franchir pour me sentir une âme de paléontologue à travers mes travaux pour le présent site et l’émission Route 66 !
Il est vrai que cette passion peut, parfois, m’offrir la possibilité de remonter le temps en rencontrant des artistes qui sont de véritables "dinosaures"... dans leur spécialité.
Pascal Tassy (un vrai paléontologue, lui) a la chance de pouvoir vivre pleinement ses passions puisque ses activités professionnelles au sein du Muséum national d'Histoire naturelle (www.mnhn.fr) de Paris le replongent au quotidien dans l'étude des fossiles et l'enseignement. De plus, en amateur éclairé des musiques roots américaines, une simple discussion sur ce thème, en sa compagnie, devient rapidement passionnante. A la simple évocation d'un nom, son discours peut rapidement vous permettre de revivre, à travers lui, les prestations parisiennes de Sam & Dave, Aretha Franklin, T Bone Walker, John Lee Hooker, Ike & Tina Turner et autres légendes de la musique ....
Une érudition qui a, de surcroît, le mérite d'être dévoilée en toute humilité par ce fin spécialiste aux allures de jeune homme.
C'est à l'occasion de la sortie de son nouvel ouvrage "L'invention du Mastodonte (aux origines de la paléontologie)" paru aux éditions Belin (collection Pour la science) que Pascal Tassy m'a accordé l'entretien suivant. Une certaine manière, pour moi aussi, de me replonger dans les origines (humaines et musicales) en compagnie du meilleur des guides...
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Pascal, tu as découvert le Rock'n'roll à ses presque débuts en France. Peux-tu revenir sur ta révélation de cette musique ?
Cela vient directement de Johnny Hallyday et de son passage à l’Olympia en 1962…
Je découvrais alors « Ya Ya Twist », qui était une adaptation d’un titre de Lee Dorsey, puis le Rock’n’roll en lui-même à travers des titres tels que « Elle est Terrible », « La Bagarre », « I got a woman » etc…
J’avais treize ans, j’étais ébloui et j’ai compris que cette musique était faite pour moi.
Par la suite, tu as assisté à un nombre incroyable de concerts, devenant un fidèle des fameux « Musicorama » d’Europe 1. Quels ont été pour toi les moments scéniques les plus marquants de cette période ?
Grâce à Johnny Hallyday je me suis passionné pour les racines de cette musique, c’est-à-dire le Blues et le Rock’n’roll des origines. Ces styles respectifs étaient assez mythiques à l’époque pour tous les amateurs qui écoutaient « Salut les Copains ». Nous parlions des disques des « grands anciens » sans trop les connaître. Il y avait toute une recherche qui passait par les concerts. Par le biais des « Musicorama » d’Europe 1, nous pouvions découvrir, sur scène, les groupes qui recréaient cette musique de façon moderne. Ainsi j’ai vu les Rolling Stones avec Brian Jones qui, sur scène, n’étaient pas aussi bien qu’on pouvait l’imaginer à l’écoute des disques. C’était assez confus…
En revanche les Animals avec leur chanteur Eric Burdon m’avaient complètement épaté. Eux étaient mieux sur scène que sur disques et ils constituaient pour nous la référence. Il faut savoir que les groupes de Rock français, à cette époque, ramaient un peu quand il fallait monter sur scène. En studio ils pouvaient toujours s’arranger …
Le « top du top » a été le premier concert, en vedette à Paris, de Jimi Hendrix qui avait été absolument extraordinaire. J’avais déjà eu l’occasion de le voir en première partie de Johnny Hallyday lors de son Olympia en 1966. Jimi Hendrix représentait un Blues-Pop-Psychédélique étonnant et littéralement extra-terrestre...
J’ai ressenti beaucoup de choses en voyant Otis Redding qui dégageait une émotion énorme avec une économie de moyens peu commune. Il était chaleureux et déménageait « sec ». Je le compare toujours à James Brown que j’ai aussi vu à l’Olympia à la grande époque et qui était fulgurant. En même temps on avait l’impression de voir quelque chose de trop bien. Le spectacle était déjà rodé au quart de poil et nous étions sûrs de voir exactement la même chose en retournant assister à son show le lendemain. Au contraire, pour Otis Redding, on s’imaginait que ce serait toujours différent. Son côté humain est resté inoubliable…
Est-ce parallèlement à la musique que tu t’es découvert une passion pour la paléontologie et, si oui, quels sont les points communs que tu pourrais retrouver entre ces deux univers si distincts l’un de l’autre ?
C’est une question complexe…
Ma passion de la paléontologie est beaucoup plus précoce, je voulais étudier des animaux préhistoriques. Tout comme moi, de nombreux paléontologues ont enraciné leur passion dans des émotions de gamins. Dans mon cas c’était la bande dessinée. Dans les aventures de Blake et Mortimer une planche m’avait absolument fasciné alors que j’avais sept ans. Je voyais ces ptérodactyles dans une page très réussie, au point de vue picturale, d’Edgar P. Jacobs. J’ai trouvé cela très intéressant et j’ai commandé au Père Noël une encyclopédie sur l’histoire de la terre et de ses habitants. C’est alors que j’ai découvert ma voie… de manière un peu fantasmatique…
On peut faire le rapport avec le Rock’n’roll en disant que la paléontologie est une espèce de retour aux sources et, en même temps, de la création. Avec l’étude des fossiles on illustre l’histoire passée de la vie sur terre en remontant le temps jusqu’aux origines. Ma découverte du Rock’n’roll, en 1962, est la fin de cette musique pour beaucoup de puristes. J’ai donc voulu savoir d’où venaient ces rythmes et je me suis mis à écouter quelques pionniers. Par chance j’avais un copain qui avait quelques 45 tours d’Elvis Presley dénichés en Angleterre. Il avait aussi, chose exceptionnelle en France à cette période, un disque de Chuck Berry. Qui dit Rock’n’roll dit Blues et lorsque j’ai découvert les premiers disques de bluesmen authentiques, n’usant pas d’effets et d’une rigueur extraordinaire j’ai littéralement craqué pour cette musique. J’ai réalisé, à ma manière, un travail d’archéologue…
D’un côté il y avait les Rolling Stones qui chantaient des vieux Blues tels que « I’m a King bee » et de l’autre côté j’écoutais les vrais créateurs. Cela était fascinant et nous fantasmions dessus en espérant les voir, un jour, sur scène. Quand ces vieux bluesmen sont arrivés avec les tournées de l’American Folk Blues Festival ça a été un bonheur absolu. Je ne suis jamais sorti déçu d'aucun de leurs concerts. Alors qu'avec les rockeurs c’était parfois le cas…
Il y en a un que je n’ai jamais vu car il avait décommandé son concert pour des raisons de santé, c’est Lightnin’ Hopkins qui est, peut-être, mon bluesman préféré. C’est un peu ridicule de dire cela, il y en a tant qui sont mes « préférés »…
Êtes-vous nombreux, parmi les chercheurs du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, à partager cette double passion ?
Pas très nombreux mais parmi les gens de ma génération je peux trouver quelques collègues qui, comme moi, étaient des lecteurs assidus des revues « Tintin » et « Spirou ». Certains l’avouent volontiers. Par contre pour le Rock’n’roll c’est beaucoup plus rare…
En revanche je peux témoigner que pas mal de jeunes paléontologues en herbe (qu’ils préparent, finissent leur thèse ou qu’ils soient déjà des Maîtres de Conférence à l’Université) sont des amateurs de Rock, voire de Punk-Rock. A les voir travailler dans leur bureau la journée, on ne peut pas imaginer une seconde leurs comportements nocturnes le soir même (rires)…
As-tu déjà fait des « clins d’œil » à la musique dans certains de tes ouvrages ?
J’ai déjà fait des clins d’œil vis-à-vis de la bande dessinée. Avec Philippe Taquet (paléontologue de référence, aujourd’hui membre de l’Académie des Sciences, Nda), le spécialiste français des dinosaures, j’ai organisé une exposition sur la paléontologie et la BD au Muséum, il y a neuf ans.
Par contre, jusqu’à présent, je n’ai jamais vendu la mèche question Rock’n’roll ou Blues…
C’est enfin le cas dans le dernier ouvrage que j’ai écrit. Il concerne les origines même de la paléontologie au travers de l’étude des premiers fossiles qui ont été mis à jour au cœur du XVIIIème siècle. On peut remonter tout le fil de l’étude jusqu’à la compréhension de ces objets. Il a fallu 60 ans entre la découverte et la compréhension des objets, plus 60 nouvelles années pour admettre qu’ils font partie d’une histoire et d’une évolution. Je brosse ainsi l’histoire des idées au cours du siècle…
Comme cette origine de la paléontologie est américaine (Kentucky), je n’ai pas pu résister au fait de cadrer cette histoire avec des éléments sociaux-économiques qui n’ont rien à voir avec la paléontologie mais qui ont à voir avec l’histoire de cette région. La musique en est partie intégrante puisque le Kentucky est le pays du Bluegrass. Autant du point de vue de la description géographique (le Bluegrass est une région du Kentucky) que du point de vue musical puisque ce terme définit un style de musique Country. Comme tous les amateurs de Rock’n’roll, je sais qu’avec le Blues, le Bluegrass est l’un des piliers de cette musique.
D’ailleurs ces musiques se retrouvaient sur le premier disque de Rock’n’roll destiné au public blanc. En effet le premier 45 tours d’Elvis Presley sur le label Sun était composé d’une version du « That’s all right mama » du bluesman noir Arthur « Big Boy » Crudup et d’une reprise du « Blue moon of Kentucky » immortalisé par le chanteur blanc de Country Bill Monroe.
Ceux sont eux les précurseurs d’une forme de Rock’n’roll qui va pratiquement changer la sociologie de la planète. Le Bluegrass étant issu de la région où l'on a trouvé les premiers fossiles qui vont servir à des personnages aussi célèbres que Georges-Louis Leclerc de Buffon (grand naturaliste, mathématicien, biologiste, cosmologiste et écrivain français du XVIIIème siècle, Nda) et, un peu plus tard Georges Cuvier (biologiste français, promoteur de l’anatomie comparée et de la paléontologie, Nda); j’ai donc souhaité associer ces noms dans le même index d’un livre scientifique. Ceci doit être, je le dis en pensant ne pas me tromper, une grande première !
Peux-tu revenir sur ce « périple » dans le Kentucky et, éventuellement, évoquer certaines expériences voire des anecdotes ?
Le paléontologue qui veut raconter l’histoire de la paléontologie peut se cantonner à l’étude des objets. A titre personnel, je ne voulais pas raconter l’histoire de ces objets sans ressentir l’atmosphère des lieux. Nos amis américains ont une chance extraordinaire. Le gisement initial qui a, pour moi, fondé la paléontologie a été découvert en 1739 (à l’occasion d’une expédition militaire) au bord de la rivière Ohio dans un endroit qui deviendra le Kentucky (la région était, à l‘époque, occupée par les indiens shawnees).
Je voulais découvrir ce lieu sachant que le gisement Big Bone Lick (Le marais salé du gros os) était devenu un parc naturel appartenant à l’état du Kentucky. C’est un endroit bucolique ouvert au public où la végétation est luxuriante et où les bisons ont été réintroduits. On y trouve aussi un musée qui raconte qu’on a trouvé en cet endroit des fossiles qui ont été étudiés. Certains d’entre eux appartiennent à une espèce célèbre pour les américains, à savoir le mastodonte américain. Je raconte donc l’histoire de la paléontologie à travers l’histoire du mastodonte et, à un degré moindre, du Kentucky.
Pour un amateur de musique (Country, Rock, Blues) cet état est moins évident que le Tennessee avec les villes de Nashville, Memphis…
J’ai pu me promener dans cette région ….jpg)
Traverser le Bluegrass au volant d’une Chevrolet en écoutant une station de radio Country sur fond de collines verdoyantes m’a, immédiatement, mis dans l’ambiance.
J’ai trouvé un lien naturel entre le paysage de l’époque (la rivière Ohio coulait il y a 17.000 ans), le paysage actuel et le contexte général, donc la musique Country.
J’ai pu ressentir l’esprit du lieu à ma manière qui n’est certainement pas celle d’un paléontologue qui ne s’intéresse qu’à la paléontologie.
Dans cet ouvrage, tu fais rimer la paléontologie avec la musique mais aussi avec le whisky qui est une autre spécialité du Kentucky ?
Le whisky est évoqué dans le livre car on ne peut pas se promener dans cette région du monde sans goûter au bourbon local. Le bourbon au sens strict vient du Kentucky et non du Tennessee car le Jack Daniel’s est du whisky américain et non du bourbon. Tous les spécialistes le savent…
J’ai fait quelques dégustations, notamment dans une distillerie nommée « La piste des bisons » (Buffalo Trace). Pour info, cette distillerie a été construite au bord de la rivière Kentucky (il faut de l’eau courante pour distiller le malt) sur une piste de bisons. Les bisons ont pour manie de toujours utiliser le même chemin, ils le creusent littéralement. De ce fait, les pionniers américains, qui venaient de Virginie, ont progressivement conquis les territoires indiens au prix de guerres violentes. Ils utilisaient les pistes de bisons pour se déplacer...
Ces bisons aiment aussi, en dehors de l'eau claire qu'ils partagent avec les bouilleurs de cru, les terres salées qui leur donnent le sel dont leur métabolisme a besoin. On les retrouvaient donc à Big Bone Lick. C'est d'ailleurs en suivant une piste de bisons que ce gisement à été découvert...
Des bisons sont ainsi partis de l'actuelle distillerie de Buffalo Trace jusqu'au nord, c'est à dire à Big Bone Lick. De plus la légende dit que le bourbon a été inventé en 1789. C'est, pour nous français, l'année de la prise de la Bastille. C’est aussi pour les naturalistes et les paléontologues comme moi l'année de la publication d'un livre de Antoine-Laurent de Jussieu (botaniste français du XVIIIème siècle, Nda). Ce dernier avait proposé une méthode de classification des être vivants. Celle-ci était fondée sur un traitement particulier des caractères morphologiques et physiologiques. 1789 est donc une année importante de l'histoire naturelle mais aussi dans l'histoire de France et celle du bourbon !
Je trouvais cela très plaisant et, de ce fait, je ne pouvais pas ne pas évoquer cette boisson dans mon livre...
Cela n'a pas posé de problème vis-à-vis de ton éditeur ?
Il a été un peu surpris et déconcerté...
De plus, par rapport à mes précédents ouvrages de vulgarisation paléontologique, je me suis vraiment laissé aller...
Je me suis fait plaisir, d'une certaine manière, et j'espère que le lecteur partagera ce plaisir.
Le mélange des genres peut, finalement, amuser aussi. Et les éditions Belin ont accepté de courir le risque de sortir un livre de science où l'on parle un petit peu du premier disque d'Elvis Presley, de la musique de Bill Monroe "Blue moon of Ketucky" tout en faisant, au final, une réflexion sur le décalage entre les politiques, les militaires qui ont géré l'histoire de cette région d'Amérique du nord et les scientifiques (anglais, américains, français...) de l'époque qui échangeaient des informations (lettres, dessins, idées...) sur la nature de ce fossile alors que leurs pays étaient souvent en conflit. Je me permets donc de tirer une petite morale, à prétention pacifiste, à l'occasion de la découverte des premiers fossiles.
Puisque ton livre parle du mastodonte, quels sont pour toi les derniers mastodontes de la musique et pourquoi ?
Ce sont les créateurs du Rock'n'roll, ceux qui ont su donner un côté syncopé à la Country Music et au Blues. Il n'y en a plus beaucoup de vivants...
Je crois que les derniers "mastodontes" sont Chuck Berry, Jerry Lee Lewis et Little Richard...
On aimerait qu'ils tiennent le coup le plus longtemps possible car je crois que toute la musique d'aujourd'hui, même si pour les jeunes le Rock'n'roll est une musique archéologique, est inspirée par ces gens. On la retrouve partout, tant et si bien qu'on n'y fait plus attention....jpg)
Ces trois "lascards" sont les mastodontes d'aujourd'hui, les derniers !
Te connaissant bien, je sais que tu es également un grand admirateur de Bob Dylan. Comment le positionnes-tu ?
Bob Dylan c'est autre chose car il est, pratiquement, la réincarnation de la conscience musicale américaine...
Il y a eu Woodie Guthrie et il y a Bob Dylan. Il se situe au-delà des caractéristiques musicales, ce n'est pas du Rock'n'roll, pas du Blues, c'est tout cela et autre chose à la fois...
Je dirais que si un chanteur mérite d'obtenir un jour le Prix Nobel de Littérature c'est bien lui !
C'est un poète extraordinaire, un musicien subtil...
Je n'ai accroché à son art que tardivement, dans les années 60, via son fameux double album "Blonde on blonde" (1966). C'est là que je me suis rendu compte à quel point il était formidable...
J'avais déjà aimé ses précédentes incursions un peu plus "musclées" et j'en suis devenu fan même si c'était d'une façon moins passionnelle que vis-à-vis d'une star du Rock.
Une star du Rock a un côté plus "charnel", que ce soit Johnny ou Mick Jagger, qui fait qu'elle n'est pas si éloignée de ceux qui viennent l'applaudir.
Bob Dylan donne l'impression d'une intelligence à la fois intellectuelle et musicale en activité.
Au fil des années j'ai mesuré l'importance de cet artiste. Maintenant que j'approche de la soixantaine je peux dire que le plus grand créateur de la musique Folk-Blues de l'histoire est... Bob Dylan !
Il figure dans l'index de mon livre sur l'invention du mastodonte. Je ne sais pas si c'est un hommage mais je ne pouvais pas ne pas le citer...
C'est ainsi que s'acheva l'enregistrement de cet entretien. La discussion se prolongera pourtant une grande partie de la soirée avec, en musique de fond, quelques raretés toutes droit issues de la discothèque privée de ce paléontologue décidément pas comme les autres...
David BAERST
Remerciements : Dominique & Pascal pour leur accueil. A Jean-François et son forum grâce auquel je me suis fait un ami paléontologue ... avec lequel je partage bien des goûts...
"L'invention du Mastodonte (aux origines de la paléontologie)"
Editions Belin (collection Pour la science)
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